Chaque année, les refuges voient affluer des milliers d’animaux abandonnés. Mais une question revient régulièrement dans les débats : les élevages sont-ils responsables du remplissage des refuges ?
Le message « N’achetez pas, adoptez ! » est devenu un véritable slogan, sous-entendant que l’achat en élevage contribuerait directement à la saturation des structures d’accueil.
Mais cette idée largement partagée repose-t-elle sur des faits ou détourne-t-on notre regard d’autres causes plus profondes ? Si, sans nous en rendre compte, nous participions tous à cette situation ?
Comprendre qui sont les véritables responsables du remplissage des refuges
C’est en partant de ces questions que j’ai décidé d’interroger directement plusieurs refuges et associations pour essayer de comprendre le fond du problème.
Leurs réponses m’ont permis de poser un regard plus nuancé, loin des idées toutes faites. Et peut-être que vous aussi, après cette lecture, vous verrez les choses autrement.
Qui sont les « éleveurs » évoqués ici ?
Quand je parle d’élevage, je ne parle ni d’élevages intensifs ni des « professionnels » qui produisent des animaux hypertypés, ni des vendeurs en salons animaliers ou en animaleries. Je parle uniquement des éleveurs passionnés et responsables, qui :
- sélectionnent soigneusement leurs animaux (caractère, santé, génétique)
- socialisent les chiots et chatons dès leurs premières semaines
- choisissent avec soin les familles adoptantes
- assurent un suivi post-adoption
👉 Pour mieux comprendre les dérives des salons animaliers et des ventes en animalerie, j’en parlerai dans un prochain article.
D’où viennent vraiment les animaux abandonnés en refuge ?
En 2024, plus de 330 000 animaux ont été abandonnés en France.
Les refuges et associations sont au bord de la saturation, et les adoptions ne suffisent plus à compenser les arrivées.
Mais d’où viennent tous ces animaux ?
Est-ce qu’ils sont achetés chez des éleveurs puis abandonnés ?
Est-ce que ce sont des animaux issus d’adoption qui retournent en refuge ?
Ou est-ce qu’ils viennent d’ailleurs ?
Suite aux réponses de la part des structures d’accueil, une tendance très claire se dessine :
➡️ La grande majorité des animaux qui arrivent en refuge ne viennent pas d’élevage. 95 % des chiens qu’ils accueillent proviennent de portées de particuliers.
Le véritable problème : les portées faites par les particuliers
Chaque année, des milliers de portées sont réalisées sans connaissance ni préparation sérieuse. Et voici ce qui se passe en réalité :
1. Les animaux sont souvent mal socialisés
Pas de stimulations précoces, pas d’habituation aux bruits, aux humains, aux manipulations, aux autres animaux… Ou au contraire, ils sont surstimulés.
Les chiots deviennent alors peureux, réactifs, parfois agressifs. Et finissent en refuge lorsque les humains se sentent dépassés.
2. Les croisements sont faits sans aucune sélection
Aucune vérification des tares génétiques, des pathologies, du tempérament des parents.
Des chiots ou chatons naissent avec des problèmes de santé ou des caractères instables.
Les familles les abandonnent quand les problèmes deviennent trop lourds.
3. Les animaux sont donnés « aux premiers venus »
Pas de contrat, pas de suivi, pas de filtre.
On donne ou vend les bébés à qui veut bien les prendre.
Et souvent… à des gens mal informés, peu investis, ou vite dépassés.
4. Ces animaux reproduisent à leur tour
Et c’est un cercle vicieux : les bébés de particuliers non stérilisés reproduisent eux aussi… et alimentent à leur tour la spirale des abandons.
Pourquoi les animaux vendus par les particuliers sont-ils souvent achetés, puis abandonnés ?
Tout simplement parce que ces chiens n’ont pas reçu les bases, et les acheteurs n’ont pas été informés ni sélectionnés avec soin.
- Animal non-socialisé
- Pas de conseils d’un professionnel
- Aucun engagement réel au départ
- Pas de suivi
Les conséquences sont nombreuses : problèmes de comportement, peur, agressivité, destruction… Résultat : la plupart du temps les familles jettent l’éponge.
De plus, plusieurs refuges ont ajouté que beaucoup de familles ne souhaitaient pas faire intervenir un éducateur, souvent par manque de moyens.
Le cas des portées non désirées : un facteur sous-estimé
Parmi les causes trop peu évoquées du remplissage des refuges, il y a les portées non anticipées. Un mâle non castré, une femelle en chaleur, un jardin non clôturé ou un moment d’inattention… et ce sont parfois 6 à 10 chiots qui naissent sans qu’aucune adoption n’ait été pensée en amont.
La stérilisation est souvent recommandée, à la fois pour le bien-être de l’animal et pour éviter cette surpopulation. Mais elle a un coût. Et c’est ici qu’intervient une notion essentielle : la responsabilité. Accueillir un animal dans sa vie, c’est aussi anticiper les frais vétérinaires liés à sa santé et à la prévention, y compris la stérilisation ou la castration.
D’après les refuges interrogés, la majorité des personnes qui refusent de faire stériliser leur animal évoquent trois raisons principales :
- le manque de moyens financiers,
- un déficit d’information sur les conséquences et les bénéfices de la stérilisation,
- ou la peur de « blesser » leur animal ou de « le changer ».
Ce constat souligne encore une fois un point fondamental : beaucoup de particuliers vivent avec des animaux sans réellement en connaître les besoins, ni les implications à long terme. Et cela participe directement au cercle vicieux des abandons.
L’effet de mode : une autre bombe à retardement
Des races populaires (Malinois, Bergers Australiens, Staffs, Huskys, Akitas) envahissent les réseaux sociaux et séduisent le public. Mais ce que beaucoup oublient, c’est que ces chiens ne sont pas faits pour tout le monde.
Ce sont des races qui sont en demande constante de dépenses mentales et physiques. Sans cela, ces chiens s’ennuient, détruisent, fuguent et finissent en refuge pour réactivité et agressivité.
Un refuge souligne que 80 % des chiens qu’ils accueillent sont âgés de 6 mois à 2 ans : le moment exact où les comportements commencent à poser problème si les besoins ne sont pas comblés.
D’ailleurs la majorité des refuges interrogés ont noté une hausse des abandons de chiens réactifs au cours des dernières années, et en particuliers des races dites « à la mode ».
Adopter un animal, c’est s’engager à répondre à ses besoins réels, même s’ils ne collent pas à nos envies du moment. Sinon, il faut prendre une peluche.
Et les élevages, dans tout ça ?
Comme on peut le constater, les bons élevages ne remplissent pas les refuges. Bien au contraire.
Leurs animaux sont :
- sélectionnés sur des critères précis (santé, caractère)
- socialisés dès les premières semaines (correctement)
- confiés à des familles prêtes et informées
- suivis dans le temps
- souvent repris en cas de souci grave
Est-ce qu’il y a parfois des ratés ? Bien sûr, aucun milieu n’est parfait.
Mais dans l’écrasante majorité des cas, les éleveurs responsables sont des alliés du bien-être animal, pas des ennemis.
Un refuge me l’a résumé ainsi : « Les éleveurs qui font du bon travail ne nous envoient jamais de chiens. » Et c’est un constat partagé par plusieurs structures.
Finalement, bannir les élevages comme certains le préconisent, augmenterait les pratiques illégales, dangereuses pour les animaux et les humains.
Il est temps de changer le discours
Il est facile de désigner un coupable unique. Mais la réalité est plus nuancée.
Les refuges débordent, non pas à cause des éleveurs passionnés, mais en grande partie à cause de nous, les particuliers.
Le problème des refuges repose majoritairement sur :
- les portées non désirées
- les animaux offerts sans préparation
- les adoptions irréfléchies et impulsives
- les reproductions entre particuliers sans connaissances
- le manque d’information sur les besoins spécifiques de certaines races populaires
Adopter ou acheter n’est pas le vrai débat
Avant de vouloir vider les refuges, il faudrait déjà arrêter de les remplir!
Ce qui compte, c’est de se poser les bonnes questions avant d’accueillir un animal :
- Ai-je le temps, les moyens et la patience ?
- Puis-je répondre aux besoins physiques et mentaux de l’animal ?
- Mon mode de vie est-il compatible avec cette race ?
C’est une décision réfléchie, un engagement sur 10 à 15 ans, et une responsabilité immense envers un être vivant. Choisir une race ne devrait jamais être une affaire de mode, parce que ce sont toujours les animaux qui paient le prix de nos erreurs.
Adopter un animal, c’est un choix. L’assumer, c’est une responsabilité.
On le sait, adopter un animal, c’est un acte généreux. Mais ce qui compte, ce n’est pas juste de « sortir un animal du refuge ». C’est de lui offrir une vie adaptée à ses besoins.
Et comme me l’a si bien dit l’un des refuges : « Le plus dur n’est pas d’adopter, c’est d’assumer. »
Trop de gens n’évaluent pas :
- le temps à consacrer (balades, éducation, soins),
- le coût financier (vétérinaire, alimentation, accessoires),
- les compétences à acquérir (lecture du comportement, besoins spécifiques).
Et trop souvent, on retrouve des chiens abandonnés parce qu’ils sont trop vifs, pas propres, destructeurs ou simplement… vivants.
Et maintenant, on fait quoi ?
Voici quelques pistes concrètes pour limiter les abandons :
🔹 Se renseigner AVANT d’accueillir un animal : sur ses besoins, sa race, le budget, le temps à y consacrer.
🔹 Adopter pour les bonnes raisons : pas pour combler un vide, pour faire plaisir aux enfants ou parce qu’on a vu un animal mignon sur TikTok.
🔹 Faire stériliser son animal en prévoyant le budget pour le faire dès l’adoption.
🔹 Informer son entourage sur les besoins des animaux.
🔹 Redonner de la valeur à l’adoption et à l’élevage bien fait. Il ne s’agit pas d’opposer, mais de responsabiliser.
🔹 Soutenir les refuges : bénévolat, dons, partage de leurs actions, sensibilisation autour de soi.
Élever les consciences, pas les conflits
Il ne s’agit pas d’opposer l’élevage à l’adoption.
Il s’agit de comprendre pourquoi on en est là. Et d’agir à la source.
Changer les choses, ce n’est pas interdire l’élevage.
C’est prévenir, accompagner, sensibiliser.
C’est faire en sorte que chaque adoption, chaque naissance, chaque décision liée à un animal soit réfléchie, responsable, et respectueuse de l’animal et de son bien-être.
Et ça, on peut tous y contribuer, c’est entre nos mains.
Remerciements
Je tiens à remercier sincèrement les refuges qui ont pris le temps de me répondre avec transparence, honnêteté et bienveillance. Leur expérience quotidienne, leur recul et leur engagement ont été précieux pour nourrir cette réflexion.
- Association La tribu de Sanka
https://www.facebook.com/share/19ANcWEKcA/
- Association de Secours aux Animaux (ASA) de Corse
https://www.asacorse.fr
- Spa Sud Alpine
https://www.facebook.com/spasudalpine/
- Association I love my dog
https://www.facebook.com/share/15vYznhShS/?mibextid=wwXIfr
- APAHD ( Association pour la Protection des Animaux de la Haute Durance)
https://www.facebook.com/apahd.refugeanimauxembrun/
- SPA de Colmar et environs
https://www.facebook.com/spa.colmar
Merci également à ceux qui ont préféré rester anonymes, mais dont les retours ont été tout aussi précieux.
Sources
330 855 animaux abandonnés en une année (239 725 chats, 49 276 chiens, 41 854 chats errants) selon les données I‑CAD pour 2022/2023 questions.assemblee-nationale.fr.
Plus de 300 000 animaux abandonnés par an, soit environ un animal toutes les deux minutes associationstephanelamart.com.
Près de 100 000 animaux abandonnés chaque été, dont 60 000 durant la saison estivale fr.wikipedia.orgbusinessinsider.com.
La SPA a pris en charge 43 742 animaux abandonnés ou maltraités en 2024 (12 253 chiens et 28 547 chats) via ses 64 refuges la-spa.fr.
La France détiendrait le record européen du nombre d’animaux abandonnés, selon des députés et associations assemblee-nationale.frcnr-bea.fr.
En été, les refuges sont saturés de chiens laissés au bord des routes ou près des plages businessinsider.comdailygalaxy.com.
La stérilisation est un enjeu majeur pour prévenir les abandons businessinsider.comsavoir-animal.fr.